Une langue peut-elle être sexiste?

Une langue peut-elle être sexiste?

Par Cassie Wright
Mis à jour le 07.11.2022

« I’m not bossy. I’m the boss. » (Je ne suis pas autoritaire, je suis le patron.)

Chaque fois que je pense à remplacer mon ancienne coque de téléphone, je regarde cette phrase, écrite au dos en caractères gras, et cela me fait sourire. À première vue, il est facile de se dire que ce n’est rien d’autre qu’un simple slogan amusant pour décorer un accessoire.

Mais la vérité cachée derrière cette phrase vient de la façon dont l’anglais est utilisé dans la vie de tous les jours.

Quand on dit qu’une femme est autoritaire (bossy), ce n’est pas pour être gentil. Pour une femme, dire : « I’m not bossy. I’m the boss. », c’est un acte de rébellion contre la façon dont le mot est utilisé.

Contrairement à des langues comme l’espagnol, le français et l’allemand, les mots en anglais ne sont pas genrés. Toutefois, certains mots anglais, y compris bossy (autoritaire), bubbly (enjouée), frigid (frigide), frumpy (négligée) ou high maintenance (maintenance élevée/dispendieuse), ne sont utilisés que pour décrire des femmes. Des mots comme bossy (autoritaire) ou aggressive (agressive) sont même utilisés comme critiques dans des évaluations formelles en milieu de travail concernant des femmes.

Ce n’est pas gentil du tout.

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Filles seulement

Voici une question.

Pourquoi la langue anglaise n’a aucun problème à se référer à des femmes adultes en tant que girls (filles) alors que les termes men (homme) et boys (garçons) ne sont pas aussi interchangeables ?

En fait, quand le mot boys est utilisé pour désigner des hommes adultes, c’est intentionnel. C’est pour souligner que leurs actions sont puériles.

Alors, est-ce que tous ceux qui disent girls au lieu de women (femmes) le font pour insulter? Pas du tout. Vous entendrez souvent le mot girls utilisé dans des expressions comme girls’ night (soirée entre filles) ou girl talk (conversation de filles). Ça fait simplement partie de la façon dont l’anglais est utilisé.

Peut-être que cela rend l’anglais est un peu sexiste. Mais est-il possible pour une langue qui évolue constamment, de contribuer à des concepts sexistes?

Par exemple, il n’y a pas d’équivalent masculin pour les mots spinster (vieille fille), working mother (mère qui travaille), career woman (femme carriériste) et soccer mom (maman football) parce que c’est culturellement accepté que les pères de famille soient concentrés sur leur carrière. Il n’y a jamais été nécessaire de le spécifier.

De la même façon, vous aurez des regards étonnés si vous dites soccer dad (papa football). C’est un rôle pour les mères qui gèrent le foyer et qui s’investissent dans les activités extra-scolaires de leurs enfants. Elles conduisent un espace et ont la même coiffure (pas tout à fait).

De toute façon, ce n’est pas bon pour l’anglais quand il s’agit de sexisme.

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Qu’en est-il des langues genrées?

Si une langue désigne certains mots comme étant féminins et d’autres comme étant masculins, est-ce vraiment important? Si les mots espagnols la pluma (la plume) et el libro (le livre) sont de genres différents, on ne parle tout de même que d’un stylo et d’un livre.

Mais si vous avez déjà étudié une langue genrée, vous savez que certains mots ont une forme masculine ainsi qu’une forme féminine. La difficulté est, parfois, qu’ils ne signifie pas la même chose.

Par exemple, il y a certains mots espagnols qui ont une connotation négative uniquement s’ils sont dans leur forme féminine :

  • Gallo (coq) veut dire un dur, mais gallina (poule) veut dire peureux.
  • Un hombre público (un homme public) est un homme qui a de l’influence, mais una mujer pública (une femme publique) est une prostituée.
  • Gobernante (gouvernant) désigne un chef, mais gobernanta (gouvernante) est une femme de ménage.
  • Un sargento (un sergent) désigne un sergent, mais una sargenta (une sergente) désigne une femme trapue et masculine.

De la même façon, en français, le nom de certaines professions ne s’emploient que dans la forme masculine car leur forme féminine a une connotation négative ou sexuelle. Par exemple, un entraîneur est celui qui mène une équipe sportive alors qu’une entraîneuse travaille dans un bar. Attention, il s’agit ici d’une expression typiquement issue du Canada, cela ne s’applique pas en France, vous pourrez donc parler de votre entraîneuse de sport sans craindre l’ombre d’un malentendu en France.

Parfois, il est nécessaire d’utiliser un autre terme pour adapter le mot au féminin, comme dans le cas de maître assistante. Si vous parlez de quelqu’un qui aide le professeur, vous pouvez utiliser maître assistant ou maître assistante. Vous ne voulez pas utiliser le féminin maîtresse pour éviter toutes possibilités de connotation sexuelle. En revanche, si vous êtes en France et que cette situation se rapporte aux enfants et leur maîtresse ou leur maître, cela ne posera aucun problème de mentionner l’assistante ou l’assistant de la maîtresse ou du maître.

Par contre, s’il s’agit d’adultes prenant des cours, il conviendra d’employer le terme professeure car avoir une maîtresse, dans ce cas, implique d’avoir une liaison extra-conjugale.

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« Le masculin l’emporte toujours sur le féminin »

C’est strictement une règle de la grammaire française, cela signifie que le masculin l’emporte toujours sur le féminin. En pratique, cette règle permet à un groupe composé de femmes avec un seul homme d’être désigné par ils plutôt que par elles. Cela détermine aussi l’accord de l’adjectif, comme dans la phrase : Les garçons et les filles sont heureux (et non heureuses).

Mais saviez-vous que cette règle a été mis en place seulement après le 17e siècle?

À cette époque, la grammaire était moins dominée par le masculin. La règle d’accord était basée sur la proximité, ce qui veut dire que la phrase expliquée ci-dessus aurait pu s’écrire : Les garçons et les filles sont heureuses ou Les filles et les garçons sont heureux.

On pourrait donc se questionner quant à la raison de ce changement soudain.

Cette dominance du masculin apparaît également chaque fois que vous voulez parler d’un groupe mixte d’hommes et de femmes. En français, en espagnol et en allemand, la forme masculine est celle « par défaut ». C’est une forme neutre utilisée pour définir l’ensemble du groupe.

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Inclusif ou invisible?

Les règles de grammaire stipulent que le masculin convient pour tout le monde, mais est-ce que les femmes sont mises en retrait lorsque le masculin est le genre par défaut?

Certaines personnes commencent à y penser. Par exemple, l’hymne national allemand utilise actuellement le mot Vaterland (terre du père, patrie), mais certains disent qu’il faudrait le changer pour Heimatland (terre natale).

Même en anglais, des termes masculins comme mankind (espèce humaine) et manpower (pouvoir de l’homme) sont utilisés pour inclure collectivement les hommes et les femmes. Toutefois, les recherches commencent à révéler une toute autre histoire.

Dans une étude, lorsque des mots masculins comme firemen (pompiers) et policemen (policiers) sont utilisés pour une profession, les enfants ont moins tendance à associer les femmes avec la réussite.

De la même façon, les participants d’une étude française avaient tendance à ne nommer que des auteurs masculins quand on leur demandait de nommer deux écrivains. En revanche, si on leur demandait de nommer deux écrivains ou écrivaines, plus de noms féminins étaient mentionnés.

Dans une étude allemande impliquant des descriptions de postes, les participants avaient tendance à penser qu’un homme était mieux adapté à un poste si le titre était au masculin. Lorsque des noms féminins et masculins étaient utilisés, les hommes et les femmes étaient jugés aptes de façon plus égale.

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Pourquoi changer la langue?

En 2015, l’écriture inclusive pour le français a été défendue par le Haut conseil pour l’égalité des genres (High Council for Gender Equality).

Les changements recommandés comprennent :

  • L’élimination de mots et expressions à connotation sexiste, comme chef de famille, nom patronymique (nom de famille) et en bon père de famille
  • Ne plus utiliser des titres masculins pour les femmes dans les professions
  • L’utilisation des deux formes, masculine et féminine (à tous et toutes)

L’Académie française était en désaccord avec les recommandations, prétendant que ces changements amèneraient confusion et discorde. Ce n’est peut-être pas étonnant de la part d’une institution si conservatrice où seulement cinq des 36 membres de l’Académie sont des femmes et où l’âge moyen est de 78 ans.

D’autres pays avec une langue genrée ont également de tels débats sur l’écriture inclusive. En Espagne, l’utilisation du masculin comme genre par défaut a fait en sorte que 3 travailleuses se sont fait refusé le paiement tardif de leur salaire parce que leur contrat spécifiait trabajadores (travailleurs) au lieu de trabajadoras (travailleuses). L’Académie royale espagnole (Real Academia Española, RAE) a imputé la responsabilité de la confusion à ceux qui pensent que l’utilisation d’un nom masculin rend les femmes invisibles.

En Allemagne, une cliente a intenté une poursuite quand la banque allemande Sparkasse a utilisé un titre masculin pour s’adresser à elle. Cependant, les deux appels ont été rejetés par la cour fédérale de justice allemande, la BGH. Il a été dit que la loi sur l’égalité des genres ne stipulait pas qu’il fallait utiliser un titre féminin pour s’adresser à elle.

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Alors, que pouvons-nous faire?

Changer les règles de grammaire semble un vrai cauchemar tant pour les locuteurs natifs que pour ceux qui apprennent la langue. Toutefois, rappelons que la langue évolue et change avec ceux qui la parlent

La meilleure façons serait encore la création de mots nouveaux. Au Québec, un mot qui référait autrefois à l’épouse du maire est maintenant le féminin de maire.

En allemand, l’égalité des genres dans la langue a amené à l’utilisation de Ratsfrau pour les femmes conseillères et Hausmann (mari de maison) pour correspondre à Hausfrau (femme au foyer). En fait, le 9e volume de Duden, un dictionnaire allemand mis à jour régulièrement, comprend tout un chapitre consacré à l’équité des genres.

En espagnol, des changements de neutralisation des genres ont été proposés pour les terminaisons féminines, y compris l’utilisation de « x » ou « e » pour remplacer les « a » et « o ».

En même temps, la prise de conscience que des mots à connotation négative existent pour désigner uniquement des femmes, comme bossy (autoritaire), permet aux femmes de contrer ces points de vue.

« I’m not bossy. I’m the boss. » (Je ne suis pas autoritaire. Je suis la patronne)

Qu’une langue soit sexiste ou non, nous pouvons tous choisir d’être un peu plus conscient des mots que nous utilisons et du véritable sens qu’on leur donne. Nous pouvons remettre en question la façon dont certains mots négatifs comme bossy sont utilisés pour décourager les femmes et les jeunes filles.

Nous pouvons reconnaître que les langues changent. Certains termes comme le mot allemand Fräulein (un diminutif de Frau), ne sont plus utilisés. De nouveaux mots sont ajoutés aux dictionnaires tous les jours. Si nous ne sommes pas ouverts à ces changements, notre habileté à communiquer et entrer en relation avec les autres s’en trouverait extrêmement diminuée.

Si nous refusons de nous écouter les uns les autres, à quoi cela servirait d’apprendre ou d’utiliser une langue?

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